« Il veut se montrer », « ce sont les gens qui ont besoin de reconnaissance » « elle a besoin d’ être applaudie » « de faire sa vedette » … Qui n’a pas entendu ses remarques sur les gens de scène? Le théâtre, se montrer en public serait-il le lieu commun de personnalités ayant un besoin maladif d’être vu, d’exister? L’ego des acteurs est réputé pour ne pas être des plus modestes ! Et pourtant …
L’approche du théâtre par le corps ouvre une toute autre voie. Celle de l’abnégation de l’égo justement au service de quelque chose qui le dépasse. Être un médium, un canal pour une émotion que l’on attend pas, un récepteur autant qu’un émetteur.
Le plus beau des compliments que m’a fait un jour une spectatrice était « vous bougez comme une herbe folle que fait danser le vent ». Pourquoi? Parce que dans ce cas là, ce n’est pas l’herbe qui bouge de son mouvement propre. C’est le vent qui la fait onduler. L’herbe folle, elle, s’est juste rendue disponible, souple et prête à traduire les ondulations du vent.
Connecter ce mouvement organique du corps permet de laisser aller notre mental et nos conditionnements : ceux-là même qui forge l’égo et son « narcissisme ». L’acteur incarne alors le message des mots, il est « au service » : il ne se sert pas du texte pour se mettre en avant, il sert le texte pour qu’on l’entende vraiment.
Il s’agit donc d’un acte de don de soi, au final un acte d’amour. C’est sur ce point que nous pouvons conclure la différence : entre amour de soi et narcissisme il ne faut pas confondre. Le vrai amour de nous, nous permet d’écouter notre corps, messager de nos besoins et de notre vérité émotionnelle. Il est doux, humble et profondément apaisant. Il respecte l’autre naturellement car il n’est pas d’amour de soi sans ouverture à l’autre. Lorsque je « lâche la tête » je m’autorise à ouvrir la porte à cet état d’amour inconditionnel qui se traduit sur scène par la disponibilité totale de l’être à l’interprétation.
Lorsque je suis coupé de mon corps, que je le contrains en permanence à suivre les injonctions de la tête qui le dirige sans égard pour ses élans, ses envies, ses intuitions… je me vide de la vraie joie du mouvement. Je reste dans une répétition de gestes habituels et convenus, je suis « adapté ». Le corps étouffe et se rebelle, la personnalité se morcèle, et c’est la porte ouverte au narcissisme: il faut défendre un masque, une image de soi et faire valoir une identité construite pour le social afin d’exister. C’est de la survie qui demande beaucoup d’énergie pour se sentir reconnu, car notre identité n’a pas la validation intérieure qui émane du coeur et de l’âme.
Être dans l’authenticité socialement, dans le respect d’autrui et ouvrir sur scène la porte à l’universalité humaine magnifiée en mettant de côté notre ego vedette, c’est ce que nous propose le chemin du théâtre physique. Comme acteur, comme conférencier c’est le chemin vers l’humilité et la grandeur en même temps.